INTERVIEW
DE PHILIPPE MONNET
PHOTOS
En jaune, le parcours
de Philippe Monnet, en rouge celui de Mike Golding
SES DATES CLES :
- 31/01/59 : |
naissance à La Clusaz |
- 1987 : |
1er record du tour du monde en solitaire à la
voile |
- 1992 : |
victoire en copilote au Paris-Le Cap avec Hubert
Auriol |
- 09/06/2000 : |
record du tour du monde à l'envers à la voile
en 151 j 19h 54 min |
Philippe Monnet
passionné de Rallyes Raids et marin détenteur
de nombreux records dont le Tour du Monde à L'Envers
!
L'INTERVIEW réalisée
par Jérôme BENOIT (Questions réalisées
par Florent) :
- A 17 ans vous découvrez
la mer. En quoi vous a-t-elle passionnée ?
Moi au départ, c'était
des rêves de gosses et ce qui m'interressait sur la mer
c'est de pouvoir faire le Tour du Monde et d'aller dans
des coins dont j'entendais parler au niveau des noms quand
j'étais gamin, que çe soit la Nouvelle Zélande, Valparaiso.
Des coins perdus
autour du monde, des noms sur lesquels je n'arrivais pas
à mettre de tendance, de lieux ou de pays que je ne connaissais
pas vraiment sur la carte, donc c'était une envie
de parcourir le monde par curiosité. Je voulais voir,
savoir à quoi ressemblait Valparaiso, Tahiti, Madagascar,
Cape Town. C'était des coins qui étaient très loin et
moi je ne connaissais que mon bled et quelques régions
en France c'est tout.
- En 1984 , vous remportez
la Québec-saint-Malo avec Eric Tabarly. Que retenez vous
de cette transat ?
C'était le moment
où je découvrais un petit peu le monde du multicoque et
des grandes transats et c'était un univers que je connaissais
pas, que je n'imaginais pas comme ça. Je connaissais la
montagne, je trouvais que la mer un métier difficile,
rude mais qui donne beaucoup de satisfaction. J'ai été
impressionné par ces bateaux, ces multicoques qui étaient
très violents et très rapides ce qui n'avait rien à
voir avec les bateaux où j'avais navigué jusqu'à
présent.
- Pourquoi vous spécialisez-vous
dans les records " impossibles ", commençant par le tour
du monde en 129 jours (1987), New-York-San-Francisco (1989)
et la Hong-Kong-Londres ? Pourquoi en solitaire et non
pas en équipage ?
Moi ce qui me plaisait
c'était en solitaire. D'abord parce que ça donne beaucoup
plus de grandeur car quand vous êtes 2 ou en équipage
vous partagez avec quelqu'un donc c'est complètement différent
et les sentiments hormis l'aspect purement physique mais
le sentiment cérébral est beaucoup plus fort parce qu'on
le partage avec personne donc ça c'est un petit peu ce
que je voulais faire et je trouvais que la mer une autre
dimension quand on la chevauchait en solitaire.
Deuxièmement, à
travers tous ces records extrêmes, je suis revenu sur
l'histoire des grands voiliers et des grandes routes d'autrefois
depuis Magellan et l'histoire des Clippers ou plus personne
n'était revenu dans ces coins là. Moi ce qui m'amusait
au départ c'était que tous les gens disaient que les multicoques
étaient faits uniquement pour faire des transatlantiques
et moi en fait je voulais faire le Tour du Monde qui était
donc mon rêve de gosse alors que toutes les courses de
multicoques étaient réservées aux traversées de l'Atlantique
donc moi je voulais parcourir la planète en multicoque
puisque j'avais découvert ces nouveaux bateaux.
Je voulais donc repartir
non pas comme ça sans rien, sans but, mais repartir sur
les routes des Clippers et des routes de commerce d'autrefois
qui à cette époque étaient de véritables courses pour
arriver le plus vite possible au port pour vendre la marchandise.
- En 1996, vous achetez
un monocoque de 60 pieds, l'ex-Fleury Michon de Philippe
Poupon qui avait eu un passé douteux. En l'achetant, vous
vous endetté de 500 000 francs. Pourquoi avez vous
pris cette décision ?
Parce que je voulais
ce Tour du Monde à l'Envers. En multicoque, c'était assez
délicat car ces bateaux ont du mal à supporter la charge
sur une longue période notamment au niveau du fret qu'il
faut pour 4 ou 5 mois. Donc un monocoque s'imposait et
en plus au niveau des glaces puisque je voulais faire
un parcours très différent et passer très Sud, il est
certain qu'un multicoque est très large, plus ramassé
et donc il y a plus de débit de glaces qu'avec un monocoque.
Deuxièment,
je savais que c'était un bateau qui avait été très bien
construit au niveau de la mise en œuvre de la coque et
que tous les problèmes qu'a rencontré ce bateau étaient
des problèmes de transformations périphériques à la coque
dans l'armature ou dans le leste et qui ont été des fautes
humaines et non pas des fautes de construction.
Moi, j'ai toujours
pensé que c'était un bon bateau, il l'a démontré à 2 ou
3 reprises mais bon il y a des fautes qui ont été faites
et ceux qui étaient à ce moment se les ont prises dans
la figure. Pour moi, ce n'était pas un bateau qui portait
malchance comme certains ont pu le dire. La malchance
c'est quand tout est parfait qu'elle intervient pour mettre
fin à quelque chose qui avait tout pour réussir.En général,
quand il y a des conneries au départ on en a l'addition
logique à un moment donné et pour moi c'était une
addition logique.
- En 1998, vous participez
à la Route du Rhum et vous arrivez 18ème avec votre bateau
Uunet. C'était pour vous un échauffement, pour prendre
vos marques avec votre nouveau monocoque. Quel bilan tirez
vous de cette course avec votre bateau Uunet ?
Pour moi, c'était
pas du tout une course. J'avais mis le bateau à l'eau
12 jours avant le départ car j'ai eu beaucoup de problèmes
financiers et donc la Route du Rhum était donc uniquement
un entraînement pour prendre mes marques pour le Tour
du Monde et vérifier si toutes les transformations que
j'avais effectuées sur le bateau étaient bien faites.
En plus, j'ai réussi
à étalonner un peu au niveau de la course la manière de
faire naviguer ces bateaux là puisque 12 jours avant la
Route du Rhum j'étais jamais monté sur un 60 pieds monocoque.
Je n'avais absolument pas eu le temps, j'avais dû
faire une dizaine d'heures de navigation avec et je ne
voulais surtout pas prendre de risques car pour moi la
Route du Rhum était uniquement un entraînement et je ne
voulais pas casser ou déteriorer le bateau.
De plus, j'avais pas
de mal de problèmes financiers, tout n'était pas réglé
mais je venais de trouver " Uunet " 10 jours avant le
départ et 2 jours après la mise à l'eau du bateau et il
n'était pas question de marcher dans une course et puis
je ne connaissais pas du tout ce genre de bateau et je
n'avais pas rien à gagner.
Ca m'a fait un entraînement,
une traversée de l'Atlantique à l'aller, une traversée
de l'Atlantique retour en convoyage, ça me permettait
de me mettre en main le bateau, c'est le timing qu'il
faut.
- Puis en 2000, vous vous
élancez pour le tour du monde à l'envers. Encore un record
très difficile. Avant vous, il y avait 2 hommes qui ont
bouclé ce tour du monde à l'envers : Jed Light et Mike
Golding (qui détenais le record). Pourquoi avez choisi
ce record et pas un autre ?
J'ai choisi ce record
car c'était difficile et le plus extrême et qu'il devrait
clore toute ma série de records parce que c'était le dernier,
ça je l'avais bien dit avant le départ.
Moi je voulais en
plus prendre une route très différente de ce qu'avait
fait mes deux prédécesseurs c'est-à-dire une route plus
classique et j'ai coupé au plus court possible, changer
la tactique météo et passer très près du cercle polaire,
donc c'était un chemin assez différent, plus compliqué,
assez intéressant aussi, car c'était des coins
où personne n'était jamais allé en course autour
du monde et c'était aussi une espèce de pari.
Je suis descendu jusqu'au
cercle polaire et après j'ai eu beaucoup de problèmes
avec les glaces et à ce moment là et bien j'ai décidé
à remonter pour me remettre sur une route plus adaptée.
Il y a eu une météo très difficile et dans ces coins là
malheureusement on ne peut pas décider de la météo et
on est plutôt obligé de s'y adapter au fur et à mesure
où on y va. On ne peut pas la savoir à l'avance, il faut
faire avec une fois qu'on est sur place.
- Avec votre météorologue,
Pierre Lasnier vous aviez décidé que vous partiriez en
janvier. Pourquoi avez-vous choisi ce moment de l'année
?
En fait, si on veut
rentrer très au Sud il faut attendre que tout le pack
et les glaces soient détachés de la banquise, qu'ils se
soient éloignés avec les courants, qu'ils aient fondus
et qu'ils restent que les grosses glaces.
Malheureusement, ça
débâcle pas très bien tous les ans, il y a des années
où il n'y a pas d'été, ça passe bien une année sur 5.
En l'occurrence ça avait bien débâclé, l'été s'annonçait
pas mal sauf qu'il y avait une zone de froid qui était
restée sur le Nord de la Mer de Ross et qui a conservé
tout un paquet de glaces qui en fait ont débâclé au moment
où je suis arrivé. C'est ce qui a foutu le bordel !
- Pendant ce tour du monde
à l'envers, vous avez eu quelques problèmes matériels
(dont de l'informatique cassé) et physique(dont une crise
de paludisme). Comment avez vous gérer tout ça pour garder
" un moral de vainqueur " ?
J'ai eu peu de problèmes
physiques quand même, bon j'ai eu cette crise de paludisme
qui était je pense dûe à mon état de fatigue extrême quand
je suis ressorti du Sud. Mais j'ai pas eu de fractures,
de chocs. J'ai juste eu cette crise de paludisme qui a
était pénible uniquement 3 ou 4 jours. Ca aurait été difficile
si je m'étais cassé un bras, une jambe ou une côte. Il
faut voir que par rapport aux conditions que j'ai eu tout
le temps, j'ai pas eu beaucoup de problèmes.
Les problèmes matériels
n'ont pas été nombreux. Je suis revenu avec un bateau
en très bon état. J'ai pas déchirer une voile et
je n'ai pas cassé de drisse. J'avais juste fait
au large du Cap Horn un vol plané dans l'informatique,
mais enfin bon ce n'était pas très grave. Sur un bateau
il est plus dangereux de casser le mât, de faire un trou
dans sa coque ou de perdre sa quille.
Le reste, c'est
de la périphérie qui est un plus pour naviguer, mais qui
n'est pas indispensable, car ça m'est arrivé avant le
Cap Horn et que j'ai fait tout le Tour du Monde sans avoir
d'informatique. Mais enfin au siècle dernier il n'avaient
pas d'informatique non plus ! Par exemple quand on démate,
on doit se débrouiller.
- Comment se passe une
journée de Philippe Monnet sur son bateau ?
Ça dépend complètement
de la météo, de l'endroit où l'on est. Ca peut être l'enfer
ou l'endroit le plus agréable du monde.
- En arrivant à Brest,
en posant le pied sur la terre ferme : que vous êtes-vous
dit ?
C'est un tout. Là
dessus, il y a l'histoire du chronomètre, d'avoir
été dans un coin extrême, le fait de terminer une tranche
de ma vie, car je l'avais dit et je le pensais depuis
longtemps que c'était le dernier record extrême que je
voulais faire, c'était aussi le plus difficile donc il
est vrai quand j'ai mis le pied sur la terre ferme j'avais
vécu une dizaine d'années de ma vie ou j'aurais fait toutes
ces grandes aventures et tous ces grands records.
Je pouvais dire que
je les ai réussi du 1er coup avec des montages parfois
difficile avant de partir en mer, mais je me disais qu'aussi
bien au niveau technique, des choix, de la navigation
et de la manière dont j'avais géré ça, j'ai finalement
bien fait. Deuxièmement, j'ai toujours ramené mes bateaux
en bon état donc j'avais aussi bien fait mon métier de
marin.
Troisièment, j'en
avais eu une satisfaction qui avec le recul me donne une
partie de ma vie où je me suis régalé. J'estime aujourd'hui
que j'ai fait de belles choses ! J'en ai un bon plaisir
aujourd'hui, mais même quand les gens me connaisent pas,
il est vrai que je l'ai fait pour moi et pas pour les
autres, mais enfin l'appréciation des gens m'ont fait
forcément plaisir et même si j'ai pu donner envie à certaines
personnes ou à des gosses de faire un choix dans leur
vie par rapport à ce qu'ils ont envie de faire au départ,
car c'est pas toujours facile mais quand on peut y arriver
! Alors ça me touche aussi, j'ai beaucoup de remerciements
de parents, d'enfants, dans les écoles, de gens qui était
un peu en détresse.
Ils m'ont remercié
de leur avoir fait vivre une belle aventure et c'est vrai
que si ça peut faire plaisir à certaines personnes en
plus de me faire plaisir moi-même, je peux dire que le
contrat est plutôt agréable !
- Vous avez écrit deux
livres dont un sur votre tour du monde à l'envers. Qu'est
ce que vous ont apporté ces livres ?
Disons qu'à chaque
fois que je suis parti en mer sur des longs périples que
ça soit le 1er Tour du Monde, la New-York-San-Francisco,
la Route du Thé ou ce Tour du Monde à l'Envers j'écris
en mer, c'est un plaisir et la mer c'est un coin ou quand
tu es sur des grandes aventures comme ça pas en course
genre " Route du Rhum " mais sur des grands événements
comme ça et bien j'ai le temps de lire.
Et ça me donne aussi
l'envie d'écrire car il est vrai que j'aurais pas écrit
un livre après le Tour du Monde mais en l'écrivant pendant
il y a plus de véracité car on n'écrit vraiment ce que
l'on ressent au moment où on le fait et je pense d'ailleurs
que ça se ressent dans les livres car, ils ont eu tous
les 2 une bonne critique et c'est donc un plaisir.
- Après avoir fait plusieurs
records en solitaire en multicoque et en monocoque, pourquoi
préférez-vous le multicoque ?
Car le multicoque,
c'est beaucoup plus vivant, beaucoup plus stable, ça va
plus vite et c'est marrant. Je préfère le multicoque de
loin, il y a que le Tour du monde a l'Envers ou j'ai pris
un monocoque car ça s'imposait mais sinon de loin
je préfère le multicoque.
- Vous avez en autre une
autre passion : le rallye-raid (dont 2 fois vainqueur
du Paris-Dakar). Avez vous déjà pensé à devenir pilote
? Est ce que vous ferez le Paris-Dakar l'année prochaine
?
Moi, c'était mon but
de départ mais je voulais commencer par la navigation
pour voir comment ça se passait pour apprendre plus vite
avec des bons et après comme ça s'est plutôt bien passé
au départ, j'ai eu d'autres propositions pour faire la
navigation et comme j'ai eu des problèmes et qu'il y a
eu la période de crise entre 1992 et 1997 pour le sponsoring
notamment dans la voile, disons que c'est aussi ce qui
alimentait " La Soupière ", en même temps je me faisais
plaisir et j'arrivais à vivre.
Donc, c'était un tout
qui était assez harmonieux et aujourd'hui tandis que je
suis en train de me consolider un nouveau sponsoring en
voile, je cherche aussi à faire quelque chose en voiture
mais pour l'instant je me concentre plutôt sur la construction
du bateau en finissant de boucler le budget qui ne l'est
pas complètement actuellement avant de me disperser encore
sur la voiture.
Mais il n'est pas
impossible qu'on me retrouve sur le Dakar ! En tant que
pilote, si je boucle le budget, sinon on verra bien, pour
l'instant il n'y a absolument rien de définitif.